Une SCI est- elle un bailleur professionnel ?
Le Code de la Consommation, et plus particulièrement ses articles L341-2 et suivants, ont depuis 2003 durci la situation du créancier professionnel et ainsi renforcé la situation de la caution.
Il ressort ainsi de l’article L341-2 de ce code que :
« Toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : "En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même." »
L’article L341-4 de ce même code va jusqu’à considérer qu’ « Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. »
Ce formalisme protecteur imposé par le législateur, dans ces différents articles, a conduit les juridictions françaises à considérer comme nuls de nombreux actes de cautionnement solidaire.
Cependant, force est de constater que ces différents textes ne s’impose qu’aux créanciers professionnels
La question qui se pose dès lors est de connaitre la qualité, aux yeux des juridictions françaises des sociétés civiles immobilières ayant pour objet la location et la gestion de biens.
Plusieurs décisions viennent ici tenter de répondre à cette question.
C. A. Lyon, chambre civile 1 B, 12 mars 2013, n°12-02162, n° Juris-Data 2013-004724
En l’espèce, un contrat de bail avait été conclu en juillet 2007 entre la SCI Le Grimaud et la SARL Oceane. M. G., gérant de la SARL, s’était alors porté caution solidaire de la société envers le bailleur pour le paiement des loyers, charges, frais et taxes ainsi que pour l’exécution des clauses du bail.
Le 22 janvier 2008, le preneur fut placé en liquidation judiciaire et le bailleur déclara alors une créance d’un montant de 15 147,15€ correspondant aux arriérés de loyers et charges jusqu’à la date de restitution des locaux. M. G, en sa qualité de caution solidaire, fut alors assigné en paiement de cette créance sur le fondement des articles 1134 et 2288 du Code civil. Condamné en première instance au paiement de la somme correspondant aux arriérés, il interjeta alors appel devant la Cour d’appel de Lyon. Si plusieurs critiques sont avancées, c’est principalement sur la notion de créancier professionnel, au sens de l’article L 341-5 du Code de la consommation, que sont amenés à se prononcer les magistrats lyonnais.
En effet, l’application ou non de ce texte dépend de la qualité des parties. Le demandeur avance que le bailleur, donc la SCI, a la qualité de créancier professionnel et ainsi que les dispositions de l’article L 341-5 du Code de la consommation lui sont applicables. Or, son cautionnement n’étant pas limité à un montant global expressément déterminé, les stipulations de solidarité et de renonciation au bénéfice de discussion devraient alors être réputées non écrites. Il deviendrait alors une simple caution ce qui imposerait une discussion préalable des biens du débiteur (Art. 2998 C. Civ.) à laquelle la société bailleresse n’a pas procédée ce qui pourrait alors décharger la caution en vertu de l’article 2314 du Code civil.
Pour la plus grande joie du bailleur, la qualité de créancier professionnel ne lui est pas reconnue par la cour d’appel qui, reprenant une formule de la Cour de cassation (Cass. Civ. 1ère, 9 juillet 2009, n° 08-15910), estime « le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles ».
La Cour estime que la qualité de créancier professionnel de la SCI ne peut se déduire du seul constat que l’objet social de la bailleresse est de louer le bien et que « la créance invoquée est bien née de cette activité ». Le cautionnement conclu est donc bien solidaire ce qui exclut le bénéfice de l’article 2314 du Code civil. La bailleresse reste donc bien garantie par le contrat de cautionnement solidaire qui conserve toute sa vigueur et elle ne peut bénéficier des dispositions favorables du Code de la consommation issues de la Loi Dutreil du 1er aout 2003.
C.A de Paris, Pôle 5, Ch. 2, 13 juin 2014, RG N° 13/10165
En l’espèce la SCI propriétaire bailleresse est exclusivement constituée, selon les statuts communiqués à la cour, de manière familiale entre un père âgé de plus de 80 ans et son fils, en vue d’exploiter un seul bien immobilier, dont le siège est situé au domicile personnel du gérant, soumise à l’impôt sur le revenu pour une activité de nature civile.
Cette société ne saurait constituer un créancier professionnel au sens de l’article précité dès lors que la créance de loyer garantie n’est pas née de l’exercice d’une profession et n’est pas davantage en rapport direct avec une activité professionnelle.
C.A de Paris, Pôle 5, 3ème ch., 15 janvier 2014, n° 12/01489
Dans cette décision, la Cour d’appel de PARIS retient qu’au sens des articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, le créancier professionnel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n'est pas principale (Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 08-15.910, pré cité).
En l'espèce l'objet de la SCI, résultant de l'article 4 de ses statuts est "l'acquisition, l'exploitation par bail, location, ou autrement, de tous immeubles et notamment l'acquisition d'un immeuble sis [...], et généralement, toutes opérations pouvant se rattacher directement ou indirectement à cet objet, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte au caractère civil de la société".
L'acte de caution, donné dans le cadre du bail commercial conclu entre la SCI, bailleur, et une société, preneur, se rattache directement à l'objet de la première, la circonstance que cette dernière n'a pas la qualité de marchand de biens, qu'elle n'est propriétaire que d'un seul lot, qu'elle n'est pas assujettie à l'impôt sur les sociétés, qu'elle n'octroie aucun crédit, et la circonstance qu'elle est composée essentiellement de membres d'une seule famille, sont sans influence, dans la mesure où la créance de loyer de la société est bien née de la réalisation de son objet social, soit l'exploitation par bail, le cautionnement ayant précisément vocation à garantir la société contre d'éventuels loyers impayés.
Par ce seul fait, les dispositions précitées du Code de la consommation sont applicables au cautionnement garantissant les loyers du bail commercial. Or, la mention manuscrite rédigée ne mentionne pas la somme dans la limite de laquelle la caution s'est engagée en cette qualité et ne reproduit pas l'intégralité des termes exigés, en violation des dispositions de l'article L. 341-2 du Code de la consommation, de sorte que son engagement est nul.
Cour d'appel, Douai, 2e chambre, 2e section, 27 Mars 2014 – n° 13/03122
Cette Cour d’appel, dans un nouvel arrêt d’espèce, retient que :
« Sur le moyen plus subsidiaire tenant à la nullité du cautionnement au regard des articles L341-3 et L341-5 du Code de la consommation :
Attendu qu'au sens de l'article L. 341-3 du Code de la consommation, le créancier professionnel s'entend de celui dont la créance est née dans l'exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l'une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n'est pas principale ;
Qu'en l'espèce, les époux RICHEZ sont les bailleurs, et s'il est exact qu'ils perçoivent d'importants revenus fonciers en qualité d'associés de plusieurs SCI familiales, en revanche, en revanche, cette seule circonstance est à l'évidence insuffisante à leur conférer la qualité de professionnels au sens du texte précité ;
Que ce moyen n'est donc pas non plus pertinent ; »
La jurisprudence est donc en dents de scie et l’appréciation de la qualité de créancier professionnel d’une SCI semble se faire au cas par cas.
La rédaction des statuts revêt une importance primordiale.